…015

Toujours incapable de se concentrer sur les centaines de rapports qu’il recevait de partout à travers le monde, Cédric Orléans s’appuya profondément contre le dossier de son fauteuil. Il ne cessait de penser à la conversation qu’il avait eue avec Alexa Mackenzie, conversation qu’il n’avait d’ailleurs pas encore retranscrite. « Par où commencer ? », se découragea-t-il. La Terre semblait peuplée de reptiliens venus des quatre coins de la galaxie. Comment les humains pouvaient-ils espérer s’en sortir ? Il n’y avait pas suffisamment de Nagas pour éliminer les Dracos susceptibles d’occuper des postes clés à travers le monde. Et si, par miracle, ils parvenaient à tous les tuer, qui protégerait les humains contre les Nagas ?

Des centaines d’hypothèses se mirent à germer de plus en plus rapidement dans la tête de Cédric, si bien qu’il ferma les yeux pour faire le vide, ce qui s’avéra finalement impossible.

— Vous pouvez éteindre l’écran, Cassiopée.

— LES BULLETINS N’ONT PAS TOUS DEFILE.

— Je n’ai lu que les trois premiers, de toute façon. Faites-m’en un bref compte-rendu écrit que je lirai à mon retour.

— OU ALLEZ-VOUS ?

— J’ai un terrible mal de tête, alors je vais aller prendre l’air.

— C’EST UNE MAUVAISE HABITUDE QUI POURRAIT UN JOUR VOUS ETRE FUNESTE, MONSIEUR ORLEANS. LA MAJORITE DES GENS QUE VOUS POURRIEZ CROISER SERONT DES CRIMINELS. PIRE ENCORE, PUISQUE PLUS PERSONNE NE SE SOUCIE DE RAPPELER A L’ORDRE LES INDUSTRIES, L’AIR EST PLUS POLLUE QUE JAMAIS.

— Vous n’êtes pas ma mère, Cassiopée. Vous être l’ordinateur de ma base.

— QUI SE SOUCIE DE VOTRE SURVIE, TEL QUE LE VEUT MA PROGRAMMATION.

— Je sais fort bien me défendre, et mes poumons sont beaucoup plus résistants que ceux des humains. Je serai bientôt de retour.

Faisant la sourde oreille aux protestations de la machine, Cédric quitta son bureau et traversa les Renseignements stratégiques. Pascalina le suivit des yeux, mais ne fit aucun commentaire. Le directeur marcha sans se presser dans le long couloir, puis accéda au garage après avoir subi un balayage rétinien. Il ne fit pas deux pas dans la vaste pièce de béton que Glenn Hudson se plantait devant lui.

— Je veux seulement aller me détendre, soupira Cédric.

— Laissez-moi vous assigner deux de mes meilleurs hommes.

— J’ai besoin d’être seul, monsieur Hudson.

— Vous connaissez pourtant le règlement. J’ai passé sous silence votre première escapade, mais je ne peux pas vous laisser continuer à fuguer.

— Dans ce cas, donnez-moi une voiture que vous pourrez suivre à tout instant sur votre système de repérage.

— Vous êtes bien têtu, monsieur Orléans.

— Plus que vous pourriez l’imaginer, monsieur Hudson.

Les deux hommes s’observèrent pendant un instant.

— J’ai besoin de cette voiture, maintenant, ordonna Cédric d’une voix qu’il ne reconnut pas lui-même.

— Tout de suite, monsieur, obtempéra le chef de la sécurité, le regard vide.

« J’ai encore utilisé mes facultés de serpent sans m’en rendre compte », se désola Cédric. Il avait toutefois obtenu ce qu’il voulait. Quelques minutes plus tard, la plus luxueuse berline de la base s’arrêtait devant lui. Le mécanicien en sortit, cédant sa place au directeur.

— Merci mille fois, fit Cédric à l’intention du personnel, qui l’observait avec inquiétude.

Il quitta le garage et se laissa guider par son instinct. Pas question d’aller se balader du côté de Montréal, dont les rues étaient congestionnées depuis le rassemblement des disciples de Madden. Il se lança sur la route 132 et opta plutôt pour la Montérégie lorsqu’il arriva à l’embranchement de la route 20. Quelques minutes plus tard, il s’aperçut qu’il se dirigeait vers St-Hilaire. « Andromède pourrait-elle vraiment m’éclairer ? », se demanda-t-il.

Il avait connu une passion déchaînée avec cette femme excentrique, mais dans la vie quotidienne, ils étaient le jour et la nuit. Cédric était sombre, sérieux, taciturne, morose et fataliste, tandis qu’Andromède était rayonnante, enjouée, loquace, joyeuse et opportuniste. Il n’avait jamais tenté de la revoir avant d’apprendre qu’ils avaient eu une fille ensemble.

Il arrêta la voiture devant la maison de son ancienne maîtresse et ne put que remarquer la pointe de la pyramide qui dépassait derrière le toit. L’enquête qu’il avait fait menée sur elle, lorsqu’il travaillait à Toronto, avait démontré qu’en l’espace de quarante ans, cette femme avait changé quarante-quatre fois d’ambiance dans sa cour, et il ne s’agissait pas de décors de cinéma. Lorsqu’elle faisait construire un temple, il était en pierres véritables. Elle avait surtout recréé l’atmosphère de divers pays qu’elle aimait beaucoup, comme les îles du Pacifique avec un volcan, l’Afrique avec un village de huttes, l’Australie avec une horde de kangourous, l’Italie avec des canaux sur lesquels elle se promenait en gondole et même la lune avec une station qui ressemblait à une soucoupe volante ! Elle affectionnait aussi diverses périodes de l’histoire et avait accueilli des samouraïs, des gladiateurs, des spartiates, des prêtres shinto, des druides, des Celtes, des Amérindiens, des Gauchos, des Mayas et même un tsar. Ce qu’Andromède voulait, elle l’obtenait.

Cédric demeura assis dans sa voiture pendant quelques minutes en se demandant s’il n’était pas préférable qu’il passe son chemin. C’est alors qu’il vit la mère de sa fille sortir de sa maison, pourtant anodine de l’extérieur, vêtue comme Cléopâtre. Sa robe blanche était si serrée sur son corps qu’elle devait marcher à petits pas. Dans son cou brillait une collerette ornée de lamelles en or et en lapis-lazuli. Ses hanches étaient ceintes par une ceinture dont la cravate sur le devant était décorée de la même façon. La connaissant, Cédric ne douta pas un seul instant que ces parures arrivaient tout droit d’Égypte. Elle frappa à petits coups sur la vitre de sa portière jusqu’à ce qu’il accepte de la faire descendre.

— Il est inutile de fuir maintenant que je t’ai vu, l’avertit la pharaonne. Tu dois avoir de graves ennuis pour arriver ainsi chez moi à l’improviste.

Elle demeura plantée sur le trottoir, attendant qu’il descende de la berline. Ne désirant pas attirer davantage les regards des voisins et des passants, il se laissa entraîner dans la demeure.

— Tu jouais ce rôle lorsque nous nous sommes rencontrés, remarqua-t-il en la suivant à travers la maison.

— Pas du tout. J’étais Néfertiti à ce moment-là. Ne confonds pas les époques.

Cédric avait étudié l’histoire comme tout le monde, mais il avait préféré les sciences. Il était capable d’associer le costume que portait Andromède à l’Egypte, mais pas de retracer spontanément la période historique dont il était issu.

— J’ai un pagne qui t’ira, je crois, fit-elle en arrivant finalement à la cuisine.

— Ce ne sera pas nécessaire.

— C’est une tenue qui t’allait fort bien, il y a trente ans.

— Je ne suis pas venu ici pour jouer à des jeux de rôles.

— Moi non plus. En récréant les événements du passé ou la réalité d’un autre continent, on ouvre davantage sa conscience.

— Je suis parfaitement capable de faire la même chose en lisant un bon livre.

— Mais as-tu autant de plaisir que moi ?

« Tout dépend évidemment de notre définition subjective du plaisir », songea-t-il en sortant dans le jardin.

— Est-ce Océane qui te cause encore des soucis ? demanda-t-elle en l’invitant à s’asseoir sur une chaise en paille devant la porte dorée de la pyramide.

— Ce sont tous les événements associés à la fin du monde qui m’obsèdent. En fait, je me demande si cela vaut vraiment la peine que je fasse des efforts pour sauver des gens qui ne veulent même pas être sauvés.

— Ton problème, Cédric, c’est que tu ne fais confiance à personne.

— Tu vas aussi me dire que ma méfiance remonte à mon enfance ?

— Tous nos plus gros problèmes proviennent de nos premières expériences de vie. Tes parents ne t’ont jamais apporté le soutien que tout enfant est en droit de recevoir, alors tu as appris à ne compter que sur toi-même. Tu considères maintenant que tous ceux qui t’entourent pourraient aussi te laisser tomber. Alors tu t’isoles de plus en plus et tu macères dans une solitude qui ne règle rien. La bonne nouvelle, mon chéri, c’est que tout le monde peut changer.

— Pas à mon âge.

— Un reptilien d’une soixantaine d’années n’a pas encore atteint la moitié de sa vie.

Il baissa misérablement la tête.

— Tu n’as pas l’intention de quitter ton poste, au moins ? s’inquiéta-t-elle.

— J’y songe au moins deux fois par jour, en ce moment.

— On dirait bien qu’il s’agit d’une dépression.

— J’en ai assez d’avoir les mains liées alors que des criminels terrorisent les cités du monde entier, que d’autres se battent pour s’accaparer le pays de leurs voisins et que des reptiliens font la pluie et le beau temps sur toute la planète.

— Mais il en a toujours été ainsi, et nous avons toujours réussi à maintenir un équilibre raisonnable.

— Qui appelles-tu « nous » ?

— Mais les Pléiadiens, évidemment.

— Qu’en est-il des Brasskins ?

— Un petit groupe d’entre eux sont arrivés sur Terre il y a quelques centaines d’années, mais ils n’en sont jamais repartis. Nous ne savons pas si c’était par nécessité ou par choix.

— Apparemment, leur vaisseau s’est écrasé en Russie.

— Cela expliquerait bien sûr pourquoi ils sont encore ici… À mon avis, ils ne se soucient pas autant que nous de l’harmonie entre les humains. Ils essaient plutôt de limiter les dégâts causés par leurs descendants Dracos. Mais comme ils ne sont pas suffisamment nombreux, ils n’y parviennent pas et ils sont de plus en plus frustrés.

— Pourquoi n’aident-ils pas les Nagas à en diminuer le nombre, au lieu d’agresser ceux qui ne se plient pas à leur volonté ?

Le visage d’Andromède devint alors très sérieux.

— As-tu une preuve de ce que tu avances, Cédric ?

— J’ai été attaqué à la base de Toronto, dans mon propre bureau, par un Brasskins qui s’appelle Iarek. Il a menacé de tuer Océane si elle ne renonçait pas à sa mission à Jérusalem. Il n’a jamais voulu comprendre que je n’étais pas un des hauts dirigeants de mon agence et que je ne pouvais pas prendre ce genre de décisions.

— Es-tu prêt à répéter ceci à quelqu’un qui pourrait vraiment intervenir ?

— Dieu ? se découragea le pauvre homme.

— Il est plutôt occupé en ce moment, alors je vais te faire rencontrer un de ses bras droits.

— Yannick Jeffrey ?

— Je ne sais pas qui est monsieur Jeffrey.

— Ce n’est pas important. Qui veux-tu me présenter ?

— Il s’appelle Malachias. Il est encore plus vieux que les Anciens. As-tu quelques heures devant toi ?

— Sans doute une ou deux, avant que mon chef de la sécurité ne se mette à ma recherche.

— Ce sera suffisant.

Andromède prit sa main et l’entraîna vers la porte de la clôture en acier qui encerclait sa propriété.

— Tu ne vas pas sortir dans la rue habillée comme ça ? protesta-t-il.

— Préférerais-tu que j’enlève tous mes vêtements ?

— Non ! Ce n’est pas ce que je veux dire. On ne se promène pas en public dans de tels déguisements.

— Va dire ça aux reptiliens.

Elle l’entraîna avec elle malgré sa réticence. Ce qui manquait le plus à Cédric Orléans, c’était un peu de fantaisie. Comme la plupart des Neterou, car c’est ce qu’il croyait être à l’époque, il avait été réduit à l’obéissance dès son tout jeune âge. Grâce à la terreur et à la douleur physique, on avait gravé dans son esprit un si grand nombre de règles absurdes qu’il n’arrivait plus à faire la part des choses.

Andromède emmena son ancien amant dans la forêt. Elle gravissait le sentier avec la grâce d’une gazelle en dépit de son âge et ne cherchait même pas son souffle. De son côté, Cédric se félicita d’avoir conservé la forme dans les gymnases des différentes bases où il avait travaillé, sinon il n’aurait jamais été capable de la suivre dans la montagne. Elle s’arrêta finalement devant une paroi rocheuse, sur laquelle elle appuya la main. La pierre se fendit en deux pour les laisser passer. Même s’il se savait en présence d’une amie, l’Anantas ressentit un pincement au cœur, car la reine des Dracos aussi affectionnait ce type de cachettes.

Cédric marcha derrière Andromède dans un couloir arrondi, dans lequel des pierres phosphorescentes fournissaient suffisamment de lumière pour qu’ils voient où ils allaient. Ils aboutirent enfin dans une grande caverne. Des centaines de Pléiadiens vêtus de longues tuniques blanches déambulaient entre des habitations sphériques entièrement construites en pierre blanche. D’autres étaient assis en cercle autour d’un feu et semblaient discuter.

— C’est ici que je suis née, chuchota Andromède à son invité.

— Pourquoi n’y vis-tu pas encore ? s’étonna Cédric.

— J’ai été exilée.

« Pas étonnant qu’Océane soit rebelle », songea-t-il.

— Fais attention à tes pensées, Cédric. Ici, tout le monde peut les entendre. Et sache que je suis fière que notre fille soit différente des autres.

— Même lorsqu’elle met stupidement sa vie en danger ?

— Tout dépend de l’enjeu. Voyons si je me souviens du chemin qui mène à l’ermitage de Malachias.

Tout en observant ce qui se passait autour de lui, le directeur de l’ANGE suivit la Pléiadienne. Il faisait aussi de gros efforts pour ne pas se parler dans sa tête, mais il ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi Andromède avait été chassée de cet endroit si paisible.

— C’est justement parce que les miens voulaient lui conserver sa sérénité, répondit-elle à sa question silencieuse.

— Ils ne voulaient donc pas que tu élèves des temples égyptiens, des pyramides mayas et des autels mésopotamiens ici ?

— C’est une manie que je n’ai acquise qu’au contact des humains. Ils m’ont demandé d’aller tenter ma chance dans le monde extérieur en raison de mon tempérament progressiste. Ici, les choses se passent de la même façon depuis des milliers d’années. Je voulais seulement les moderniser un peu, ce qui leur a déplu. Bon, nous y voici.

Cédric ne voyait pas comment elle pouvait différencier un corridor d’un autre, car ils semblaient tous semblables. Il s’engagea tout de même derrière elle en se demandant s’il perdait son temps.

— Celui qui cherche des réponses à ses questions ne perd jamais son temps, le reprit-elle.

Il n’eut pas le temps de rechigner qu’ils arrivaient dans une petite grotte où un homme était assis en tailleur sur un gros coussin qui flottait dans les airs ! Ses longs cheveux blancs descendaient jusqu’à ses genoux. Si c’était bien lui, l’Ancien, on ne voyait pas pour autant de rides sur son visage. Andromède s’agenouilla sur le sol en levant les yeux sur lui. Cédric fit aussitôt de même.

Au bout d’une interminable immobilité, Cédric craignit de passer toute la journée à contempler ce vieil homme sur son tapis volant.

— Que fait-il ? murmura-t-il.

— Personne ne le sait, répondit-elle en haussant les épaules.

— Je ne peux pas rester ici plus longtemps, Andromède.

— Attendons encore un peu.

Malachias ouvrit finalement les yeux. Ils étaient aussi bleus et limpides qu’un ciel d’été.

— Qui recherche mes conseils ? demanda-t-il sans même remuer les lèvres.

Sa voix ne provenait pas de sa bouche, mais de tous les murs qui les entouraient !

— Andromède, de la maison de Céphée.

— Que désires-tu, mon enfant ?

— Nous avons besoin de votre sagesse. On dit que votre connaissance des événements s’étend aussi bien dans le passé que dans le futur.

— Je ne suis pas un oracle.

— Nous cherchons la réponse à une seule question, vénérable Malachias. Nous aimerions savoir pourquoi les pacifistes Brasskins brutalisent maintenant les humains.

Le vieil homme garda le silence pendant quelques secondes, mais l’atmosphère dans la grotte s’électrifia. Cédric eut l’impression d’être assis à l’intérieur des circuits d’un ordinateur géant en train de traiter des milliards de données en même temps.

— Ils ont peur, déclara finalement Malachias. Bien des leurs ont péri sous terre lors d’essais nucléaires ou de la détonation d’explosifs durant les dernières guerres. Ils ne veulent pas disparaître, alors ils feront tout pour éviter un autre conflit mondial.

— Ils encouragent la survie de l’Antéchrist au lieu de nous aider à l’éliminer avant son arrivée au pouvoir, l’informa Cédric.

Le personnage mystique pencha doucement la tête de côté en examinant le compagnon de la Pléiadienne. Cette dernière n’eut pas le temps de faire savoir au reptilien que les étrangers ne pouvaient pas s’adresser directement à cet Ancien.

— Ils ne comprennent pas la menace qu'il représente. Ils ne s’intéressent pas aux prophéties. Ils ne croient en rien et vivent au jour le jour.

— Comment pourrions-nous les transformer en de précieux alliés ?

— Les Brasskins se tourneront vers vous lorsque la situation deviendra insoutenable.

— Les criminels font la pluie et le beau temps partout à travers le monde, poursuivit Cédric, qui ne comprenait pas le détachement du Pléiadien. Ils tuent des innocents et aggravent sans cesse le problème de la pollution sur toute la planète. S’ils continuent ainsi, tout ce qui vit mourra.

— Le Prince des Ténèbres mettra à feu et à sang toutes les villes qui lui résisteront, mais l’homme est une créature résiliente.

Malachias battit alors des paupières comme un homme sur le point de perdre conscience. Son coussin s’éleva jusqu’au plafond, rendant impossible la poursuite de cette intéressante conversation.

— Sortez d’ici immédiatement, ordonna alors une voix de femme.

Cédric fit volte-face, réprimant de son mieux ses instincts reptiliens qui refaisaient toujours surface lorsqu’il s’angoissait ou qu’il avait peur.

— Andromède ! reconnut la gardienne de la montagne, qui se tenait devant l’entrée de la grotte. N’avons-nous pas été clairs lorsque nous t’avons contrainte de quitter ces lieux ?

— Je suis revenue pour une bonne cause. Cet homme…

— Nous ne voulons plus entendre tes divagations, la coupa la Pléiadienne. Si vous ne quittez pas immédiatement notre sanctuaire, il y aura des sanctions.

Cédric ne voulait certainement pas avoir des ennuis qu’il ne serait pas en mesure d’expliquer à l’ANGE. Il incita donc sa compagne à marcher vers l’ouverture circulaire aménagée dans le roc. La gardienne leur céda le passage et les suivit jusqu’à ce qu’ils soient dans la forêt.

— Te sens-tu un tout petit peu plus encouragé ? fit Andromède à l’intention du reptilien.

— Non. Votre Ancien tient le même langage que les prophètes de Yannick.

— Mais qui est donc ce Yannick, à la fin ?

— Il s’agit d’un de mes anciens, agents. Il était en réalité un des deux Témoins qui prêchent en ce moment à Jérusalem.

— Je les ai vus l’autre jour à la télévision ! Duquel parles-tu ?

— De celui qui s’appelle Képhas.

Ils entreprirent de retourner à la maison de la Pléiadienne.

— Mieux encore, ajouta Cédric, il a eu une relation avec notre fille, il y a quelques années.

— Elle a vraiment beaucoup de goût.

— Ce n’est pas une question de goût, mais de bon sens, une faculté qui lui fait amèrement défaut. Lorsqu’elle ne s’éprend pas d’un personnage biblique, elle tombe dans les bras d’un Naga ou elle se retrouve dans le lit de l’Antéchrist.

— Les parents ne doivent pas se mêler de la vie sentimentale de leurs enfants, Cédric. Notre devoir, c’est de les élever de notre mieux pour qu’ils prennent de bonnes décisions et qu’ils fassent de bons choix plus tard dans la vie.

— Tu m’as dit toi-même que tu lui avais offert un immense château de glace pour l’un de ses anniversaires et que tu lui avais fait croire qu’elle était une fée qui pouvait utiliser sa baguette magique pour changer les objets en animaux ! Comment pourrait-elle avoir du plomb dans la tête, aujourd’hui ?

— Lorsque nous avons fait ces choses, elle n’était qu’une enfant qui avait besoin de jouer et de rêver.

— Eh bien, pour ton information, l’adulte qu’elle est devenue est toujours incapable de différencier la fantaisie de la fiction. Je suis désolé de t’avoir fait perdre ton temps.

— Tu n’as pas entendu ce que je t’ai dit tout à l’heure à ce sujet.

Il dévala le sentier sans plus l’attendre et se rendit directement jusqu’à sa voiture. Venu chercher des réponses à St-Hilaire, il repartait finalement avec davantage de questions. Il retourna sur la route 20 en réfléchissant aux paroles du vieux Pléiadien. Possédait-il vraiment le don de voir l’avenir ? Cédric remarqua alors qu’une grosse voiture noire semblait le suivre. Pour en avoir le cœur net, il prit la sortie de Saint-Bruno et emprunta plusieurs petites rues au hasard sans arriver à distancer sa filature.

« C’est bien moi qu’ils suivent », comprit-il en quittant le domaine domiciliaire à flanc de montagne. Il se dirigeait prudemment vers le boulevard Montarville lorsqu’une seconde voiture, identique à la première, lui barra la route. Effrayés, les quelques passants décampèrent pour ne pas devenir la cible de balles perdues. Conservant son sang-froid, Cédric appuya deux fois sur le cadran de sa montre et descendit de la berline pour faire signe au chauffeur de l’autre voiture de dégager la chaussée. Aussitôt, trois hommes armés en descendirent.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-il en feignant l’innocence.

D’autres hommes arrivèrent par-derrière. Il était coincé entre sept voleurs qui pointaient des revolvers sur lui. Ou bien s’agissait-il de policiers zélés ?

— C’est une belle voiture que vous avez là, siffla l’un des brigands. Un modèle récent, c’est plutôt rare.

— Vous pouvez la prendre, je vous la laisse, mais ne me rudoyez pas.

Celui qui avait pris la parole se rapprocha de lui.

— Nous aimons aussi l’argent.

Exalté d’avoir attrapé sa proie, le visage du voleur se couvrit d’écailles vertes pendant une fraction de secondes. Cédric ressentit un impérieux besoin de se défendre, mais résista à la tentation de se métamorphoser. Il retira plutôt son portefeuille de sa poche de veston et le jeta aux pieds du reptilien.

Un autre homme, grand et svelte, sortit alors de la voiture noire et fit reculer ses chiens de chasse. Le sang de Cédric se mit à bouillir.

— Mais où sont vos manières ? les sermonna le nouveau venu en enlevant ses gants en cuir.

« C’est un prince Dracos ! », s’alarma Cédric, qui savait qu’il ne pourrait pas se contenir encore bien longtemps.

— C’est une bien étrange montre que tu portes là, poursuivit le chef de la bande. Donne-la-moi.

Cédric ne bougea pas. Pour le faire obéir, l’un des hommes armés s’approcha de lui en levant le bras, avec l’intention de lui asséner un coup avec la crosse de son arme. Le directeur de l’ANGE entendit alors un craquement sec dans son corps tandis qu’il se métamorphosait. Il n’était plus inhabituel pour les reptiliens d’en détrousser d’autres, mais lorsque le Dracos vit que les écailles sur la peau de celui-là était bleues, il recula aussitôt vers sa voiture.

— Tuez-le ! hurla-t-il en plongeant sur la banquette arrière.

Cédric ne vit pas fuir la deuxième voiture noire, car il s’était déjà précipité sur les Neterou qui ouvraient le feu sur lui. Il saisit le premier, lui cassa le cou et s’en servit comme bouclier jusqu’à ce que tous les barils des revolvers soient vides, puis ce fut le carnage. En moins de trois minutes, il terrassa les sept voleurs et s’écrasa à quatre pattes sur l’asphalte inondé de sang. En tremblant de tout son corps, il regarda ses mains et les vit redevenir humaines. Utilisant les forces qui lui restaient, il arriva à se remettre debout. Autour de lui gisaient les corps des Neterou, pour la plupart mutilés. Chancelant, il pivota pour retourner à sa voiture et arriva face à face avec Alexa Mackenzie.

— Vous faites vraiment pitié à voir, mais bravo pour l’efficacité.

— Je déteste ce que je suis…, hoqueta Cédric.

Elle l’aida à marcher jusqu’à la berline et le fit s’asseoir sur le siège du passager, les jambes à l’extérieur et les pieds bien à plat sur le sol, puis l’examina.

— Vous êtes blessé, constata-t-elle. La balle s’est logée dans votre corps reptilien. Aucun docteur humain ne pourra l’extraire sous votre forme humaine.

— Aidez-moi…

— Vous allez devoir vous transformer à nouveau, le temps que j’extirpe le projectile. Faites-moi confiance.

Ne voulant surtout pas donner un autre choc au docteur Lawson, Cédric fit ce qu’Alexa lui demandait. Les écailles brillantes recouvrirent instantanément son corps. La Brasskins l’imita et utilisa prestement ses griffes acérées pour déchirer les vêtements de l’Anantas au niveau de l’épaule et dégager la balle de revolver. Dès qu’elle l’eut laissée tomber sur le sol, Cédric reprit son apparence normale.

— Ne restons pas ici, décida-t-elle en poussant ses jambes à l’intérieur de la voiture.

Elle lui redonna son portefeuille, referma la portière et s’empressa de s’installer au volant. Sans prendre la peine de contourner les cadavres qui jonchaient le sol, elle fila vers le boulevard, puis sur l’autoroute. Ne se sentant pas suivie, elle arrêta finalement la berline sur l’accotement.

— Votre montre clignote, remarqua-t-elle.

— Le chef de la sécurité tente de me repérer, souffla Cédric, qui se remettait de ses efforts.

— Je n’ai plus de doute sur vos origines, en tout cas. Seul un Anantas peut causer autant de dommages en si peu de temps.

— Je connais un Naga qui ne se débrouille pas trop mal non plus.

— Mais ces assassins font les choses plus proprement, se moqua-t-elle.

— Comment se fait-il que vous ayez été au bon endroit, au bon moment ?

— Comment se fait-il que vous ayez décidé de tuer tous ces reptiliens devant chez moi ?

— Quoi ?

— La maison sur le coin, que vous n’avez certainement pas pris le temps de regarder pendant que vous vous battiez, eh bien, c’est la mienne.

— Êtes-vous en train de vous payer ma tête ?

— Après ce que je viens de voir, je n’oserais jamais.

Il regarda Alexa dans les yeux pendant quelques minutes, ne comprenant pas comment une telle coïncidence était possible.

— Il y a une voiture qui arrive, l’informa-t-elle. Vous ne devez pas être vu avec moi.

Elle ouvrit la portière et s’enfonça sans aucune difficulté dans l’asphalte. Cédric ne chercha même pas à changer de place avec elle. Il demeura affalé sur le siège du passager afin de reprendre son souffle. Glenn Hudson et trois de ses hommes descendirent en vitesse de leur voiture garée derrière la berline, armes au poing. Ils les rengainèrent après avoir constaté que le directeur était seul et se placèrent de façon à ne pas laisser un autre véhicule s’approcher. Hudson ouvrit la portière et ne cacha pas sa surprise en voyant les vêtements déchirés et la mine épouvantable de son patron.

— Que vous est-il arrivé ? s’alarma-t-il.

— Ramenez-moi à la base, ordonna Cédric en fermant les yeux.

 

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